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(M)UT(E)OPIA

Galerie Chantal Crousel Paris  •  France [FR]

For his second solo show at the Galerie Chantal Crousel, Melik Ohanian presents a series of recent works (2005-2006) in modulated spaces with a succesion of ambiances that contains videoprojections, neon lights, sculptures, photographs and involve the visitor in a close relationship.
Based on time, intervals, continuity and discontinuity, his work defies concepts of territory and identity and offers other geographical and political possibilities.

Julia Peker pour Paris-Art.com

Très présent depuis quelque temps sur la scène internationale, Melik Ohanian présente à la galerie Chantal Crousel sa deuxième exposition personnelle, «(M)ut(e)opia», série d’œuvres récentes dans lesquelles l’artiste poursuit sa réflexion sur les différentes formes de cryptage.

Word(s) est une série de mots en néons blancs accrochés au mur de la grande pièce de la galerie. La mise entre parenthèses de certaines lettres éclaire d’un jour nouveau la résonance des mots les plus familiers, et pointe leurs contradictions intrinsèques. (T)here signifie alors en même temps «ici» et «là-bas», libéré des règles de non-contradiction qui structurent la pensée et le langage. Seul l’utopiste naïf ignore combien «là-bas» compose avec «ici», et (R)evolution donne la réplique à ce paradoxe.
Dans le langage de Melik Ohanian, les mots peuvent être à la fois au singulier et au pluriel, car les utopistes ont la lucidité des plus grands réalistes.

Une vidéo, Hidden, montre en plan fixe le coucher du soleil sur un champ de pétrole du Texas, pendant qu’un écran d’ordinateur affiche une suite ininterrompue de lettres. Ce texte illisible nous révèle la partition cryptographiée d’une image encodée dans la vidéo, invisible ici. Elle est projetée à Amsterdam, à De Appel, où se tient en ce moment même une autre exposition de Melik Ohanian, «Somewhere in Time». Ce qui est visible n’est pas lisible, et la réciproque également.
A moins qu’on accepte que «là-bas» est en même temps «ici».

Une autre vidéo poursuit cet exercice de dissociation de l’espace et de l’image. Invisible Film projette le film de Peter Watkins, retraçant le chemin de croix d’un groupe de jeunes étudiants réfractaires, condamnés durant la guerre du Vietnam.
Immédiatement censuré lors de sa sortie en 1971, le film n’a pas été projeté aux États-Unis pendant plus de vingt-cinq ans. Il a été projeté par Melik Ohanian sur les lieux même du camp de prisonniers où le tournage a eu lieu, dans le désert de El Mirage en Californie.

Faute d’écran, on ne voit que la copie tourner face au désert, avec la bande-son pour seul accroche. A l’entrée de la salle, au revers du film, un moniteur diffuse les sous-titres de la version originale. Aussi invisible soit-il, le film est pourtant bien là, mais ramené à d’autres paramètres d’existence que le cinéma habituel: sa réalité matérielle, ses circonstances de réalisation originelles, et ses résonances actuelles. Ce film a quelque chose à nous dire sur notre présent, et la valeur anecdotique de l’image s’efface pour laisser place à un sens impérissable.

Le drapeau du Texas, mis en berne à l’extérieur de la galerie, préside à l’exposition. L’hommage aux exécutions pratiquées dans l’état se double de toute la symbolique propre à ce blanc drapeau, aux couleurs de l’innocence et de la reddition. La clameur patriotique s’étrangle dans cet étendard noué, autoritairement réduite au silence par ce signal inquiétant.

Article paru dans Le Monde édition du 16.09.06 par Harry Bellet

Le saviez-vous ? Il y a 3 804 kilomètres entre Paris et Erevan. C’est ce que nous apprend Mélik Ohanian dans Concrete Tears, oeuvre composée de larmes de béton suspendues à des fils, comme ces rideaux de perles qui interdisent l’accès des maisons du Sud aux mouches tout en laissant passer l’air. La série comporte une larme par kilomètre. La capitale de l’Arménie ayant connu au long de son histoire les déboires que l’on sait, et ses habitants ayant été confrontés au génocide et à l’exil, l’interprétation est ouverte. A voir aussi, des déclinaisons, sous forme de carte commentée ou de réinterprétation en 3D du film Seven Minutes Before, montrant les phases qui précèdent un accident de la route, qui fut présenté à la Biennale de Sao Paulo en 2004. Ce que les caméras rendaient alors parfois confus trouve ici un éclairage fascinant. Fascinante également cette installation inspirée de Punishment Park, film réalisé en 1971 par Peter Watkins sur l’un des épisodes les moins glorieux de l’histoire de l’armée américaine, des objecteurs de conscience servant de matériel d’entraînement aux soldats.

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